Une existence heureuse
David, un de nos chroniqueurs, nous a envoyé ce joli texte écrit par son fils Paul. Colombe est née au foyer de Marie et de Jean, le fils de David. Mais Colombe est décédée au moment de sa naissance. Face au chagrin, Paul a pris la plume et nous le remercions de mettre de si beaux mots sur le drame. Merci à lui pour cette ode à la vie… quelle qu’en soit la longueur !
Salut Dieu, c’est Colombe ! Désolée de te déranger, je viens d’arriver, je suis installée sur le nuage là-bas, le tout petit. Oui, j’ai choisi celui-là parce que j’ai tout de suite vu que j’étais plutôt dans les petits gabarits. Genre poids plume.
Dis Dieu, si je voulais te voir c’est parce que le mec du nuage d’à côté m’a raconté des trucs étranges.
Quand je suis arrivée, il m’a demandé d’où je venais. Je lui ai répondu : « ben, du chaud-douillet de Maman, comme tout le monde. »
« Ah ouais... » qu’il a dit en hochant la tête « Toi, t’as pas connu les emmerdes... »
Et de sa voix fatiguée il m’a raconté un tas d’histoires pas croyables : ça parlait de naissance, de froid, de séparation, de solitude puis de responsabilités, de choix, de frustrations, de renoncement, d’acceptation, de peur aussi. Ça avait l’air super galère son truc. Le pauvre ! J’ai eu de la peine pour lui.
Alors moi, pour lui remonter le moral, je lui ai raconté toute ma vie. Histoire qu’il voie que le monde n’est pas si triste. Je lui ai raconté à quel point j’étais délicieusement bien dans le chaud-douillet, comme j’étais constamment entourée d’amour, de câlins, que des myriades de bisous me parvenaient, combien parfois je ressentais la chaleur des mains qui venaient s’amuser avec moi et tous les jeux qu’on a pu inventer.
J’aimais bien les mains. Parfois je leur faisais même des blagues, et là on s’est bien marrés. Et puis les sons : la voix de Papa, de mes frères et sœurs et par-dessus tout la voix de Maman qui me parvenait comme un doux ronron... Tu sais, parfois même elle chantait ! Et ça j’aimais trop !
Et puis je ne te parle pas de la bouffe, j’étais vraiment aux petits soins !
Mais mon voisin de nuage, lui, avait certainement envie de broyer du noir, car il a soupiré :
« Ouais, je vois bien, mais le problème c’est que ça ne dure pas longtemps ! »
Alors ça m’a fait bondir ! Je lui ai répliqué « Détrompe-toi ! Ça a duré TOUTE ma vie !
Il a souri et sur son visage ridé, ses yeux m’ont fixée davantage, comme pour regarder plus loin, à travers moi. Il s’est tu et, comme j’avais peur d’avoir jeté un froid dans la conversation, j’ai osé lui demander : « Et toi, ton plan galère là… ça a duré longtemps ? »
- Une vie
- Ah ben mince alors ! Pile comme moi !
Puis il m’a encore observée un moment et il a dit comme ça « Je crois que je commence à comprendre : en fait toi t’étais pas prête pour affronter tout ça, c’est pourquoi tu t’es retrouvée ici direct »
- Dis-moi, Dieu, qu’est-ce qu’il a voulu dire ?
Et là Dieu m’a dit : « Viens, viens ma Colombe chérie, je vais t’expliquer. »
Je me suis installée à plat ventre sur son bras, la tête posée dans le creux de sa main. Je me sentais bien, parfaitement à ma place. Alors, tout doucement et tout en me berçant, Dieu m’a glissé comme un secret :
« La question n’est pas de savoir si tu étais prête pour la vie ma chérie, ce qui est sûr c’est que tu étais déjà prête pour être ici. Et puis entre nous, tes parents et moi, on t’aimait beaucoup, beaucoup trop pour te voir batailler dans les hauts et les bas de la vie dehors. Pour toi, ma chérie, on a voulu que le meilleur, le plus doux, le plus tendre, le plus paisible. Quel parent ne souhaite pas le meilleur pour ses enfants ? » En me disant cela Dieu me massait délicatement la nuque et je me suis endormie sur son bras en pensant à la chance que j’avais d’avoir eu des parents aussi formidables et une existence aussi heureuse.