La route et le chemin
Il y a deux manières de vivre sa vie : être en route ou cheminer. Apprendre à discerner la différence entre les deux, en se mettant en route vers Emmaüs, peut mettre sur le bon chemin !
C’est à mon ami Jean-Daniel Causse que je dois une lecture lumineuse du chemin d’Emmaüs, texte qui est aujourd’hui fondateur de ma foi, de mon espérance et de ma confiance.
La route, c’est simplement aller d’un point à un autre. Seul compte le but à atteindre, le parcours lui-même est indifférent. Le chemin, à l’inverse, vaut en lui-même. Ce qui compte pour celui qui chemine, à l’inverse de celui qui fait route, c’est marcher, seulement cela. Faire de sa vie un chemin, peu importe le but. L’essentiel n’est pas derrière, dans le regret ou la nostalgie. L’essentiel n’est pas devant, dans la visée d’un but à atteindre. L’essentiel est dans chaque pas accompli avec ceux que nous aimons, dans nos rencontres, dans les petits riens de la vie.
L’évangile de Luc raconte que deux hommes vont de Jérusalem à Emmaüs, d’un point à un autre. Ce sont des hommes de la route, pris dans le regret de ce qu’ils ont perdu, dans l’amertume de l’échec. Et voici qu’un inconnu les rejoint. Pas pour longtemps, pour deux petites heures, puis chacun reprendra sa route, comme avant. Mais voilà que petit à petit, dans les mots qui se tissent les uns aux autres, dans le dialogue qui se noue, quelque chose se passe. Ce qui compte ce n’est plus le but, ce n’est plus d’aller quelque part, mais de marcher encore un peu avec lui, de l’écouter encore un peu. « S’il te plaît, reste encore avec nous, le soir tombe, poursuivons encore un moment le chemin autour d’un repas », simplement pour goûter encore la présence de cet étranger, ou du moins de cet inconnu. La route s’est métamorphosée en chemin.
Cet homme n’est pas reconnu pour ce qu’il est, c’est la rencontre avec lui qui importe, c’est la rencontre qui est révélatrice. C’est au moment où il s’éloigne, au moment où les deux hommes se retrouvent seuls, où je me retrouve seul, que je comprends ce que je dois à l’autre. C’est toujours après que nous comprenons ce que l’autre nous a apporté, c’est toujours après que nous ouvrons les yeux sur l’invisible. Mais combien de fois ai-je eu l’occasion de le rencontrer, cet inconnu ? Combien de fois ai-je préféré faire route, car le temps pressait, il fallait faire vite, et les rencontres risquent de ralentir, voire de perturber un agenda minuté ?
Je suis particulièrement attaché à ce texte parce qu’il est porteur d’espérance, de renaissance et même d’une forme de résurrection. Aujourd’hui, c’est le rejet de l’autre qui fait recette, particulièrement dans la plupart des pays de notre Europe, paraît-il, chrétienne. Or, parce que je suis ce que je reçois, je me sens appelé à être veilleur et à choisir de cheminer comme ces deux hommes qui, à l’occasion d’une simple rencontre, sont passés d’un soir sombre et triste à la lumière d’un matin de Pâques.