Que se passe-t-il dans l’orthodoxie ?
Le 5 janvier dernier, le Patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée Ier, signait le tomos, document accordant l’autocéphalie à l’Église orthodoxe d’Ukraine, nouvel épisode d’une crise qui divise l’orthodoxie un peu plus entre Moscou et Constantinople.
La nouvelle avait fait grand bruit à l’automne : le saint Synode de l’Église orthodoxe de Moscou déclarait ne plus être en communion avec Constantinople. Concrètement, les fidèles qui se reconnaissaient une appartenance à l’Église orthodoxe de Moscou étaient invités à ne plus participer à l’eucharistie si elle était célébrée par un prêtre membre de l’Église orthodoxe de Constantinople, ou dans une Église lui étant rattachée. Cette rupture de communion entre les deux centres du monde orthodoxe n’était pas en soi une nouvelle, une telle mesure avait déjà été prise en 1996 lorsque Constantinople avait reconnu l’autocéphalie (l’indépendance institutionnelle) à l’Église orthodoxe d’Estonie. Mais, cette fois, c’est autour de la question ukrainienne que la crise a éclaté. Alors, comment en est-on arrivé là ?
Les soubresauts récents de l’Ukraine
Depuis l’éclatement du bloc de l’Est et de l’URSS en 1991, une tentation d’indépendance à l’égard de Moscou traverse l’Ukraine. Ce qui se vit au niveau politique se vérifie également dans le monde de l’Église orthodoxe. Et depuis 1992, la situation semblait particulièrement confuse, avec de fait, trois Églises orthodoxes dans le pays : une Église dépendant directement du Patriarcat de Moscou, une Église orthodoxe autocéphale ukrainienne née d’un schisme de l’Église orthodoxe russe en 1920, et une nouvelle Église orthodoxe ukrainienne – Patriarchat de Kiev, née en 1992 de la volonté d’accompagner le changement politique en rompant avec la Russie.
La démarche de Bartholomée d’accorder l’autocéphalie à l’Église orthodoxe d’Ukraine signe sa volonté de ne pas laisser perdurer cette situation schismatique en réunissant en une seule les trois Églises sur ce territoire. De fait, il a bien invité les évêques et représentants des trois Églises au Concile qui s’est tenu à Kiev le 15 décembre dernier et qui a élu son Patriarche, Épiphane, mais seuls deux évêques de l’Église russe y ont participé.
Une reconfiguration de l’orthodoxie
Derrière la crise ukrainienne, où s’entremêlent également la géopolitique des États et la profondeur historique de l’Ukraine, qui s’est toujours trouvée sur une zone de frontière entre l’Europe et la Russie, pointent également les signes d’une profonde reconfiguration en cours du monde orthodoxe. Si Constantinople, qui était historiquement le siège de l’Empire, occupe une place particulière, « première parmi les pairs », au sein des Églises orthodoxes, cette place lui est contestée par Moscou depuis le XIXe siècle, qui représente aujourd’hui la plus grande des Églises orthodoxes. Depuis 1911, le monde orthodoxe était en attente d’un Concile panorthodoxe qui pourrait résoudre toutes ces questions autour de la primauté. Le Concile qui s’est tenu en Crête en 2016 aurait pu être celui de la réconciliation… il a été boudé par trois Églises, dont celle de Russie !