Phénix, une proposition « adaptée »
La jeune association Phénix s’est donné pour objectif de permettre à des personnes atteintes par une maladie psychique et/ou un handicap de pratiquer une activité sportive ou de loisir dans un cadre favorable.
Lorsque j’arrive au stade, en fin d’après-midi, ils se mettent en place. Ce soir, Jonathan prend en charge deux jeunes autistes. D’emblée, ils semblent très différents l’un de l’autre : autant Mathis - physiquement costaud - est expansif, affectif, il interpelle et embrasse, autant Eliott, tout en légèreté, reste plus à distance et prend des précautions avant chaque mouvement. Jonathan, leur encadrant, soumet les deux jeunes à des exercices variés, autour de plots de couleurs différentes : repérages rapides, déplacements, avec des contraintes qui s’ajoutent au fur et à mesure. Dans les mouvements des deux garçons, on sent l’hésitation, ou au contraire la trop grande rapidité, au mépris parfois de la consigne ! Jonathan reprend, commente, mais ne fige pas les choses. Grand succès pour les tirs au but. Là, Eliott, quand il a réussi ou raté, exprime vivement ses sentiments, comme n’importe qui en pareille situation.
Dans le même temps, sur l’espace immense du stade, d’autres groupes s’entraînent au foot.
Sport et loisirs
Jonathan Lafont a un diplôme d’éducateur sportif spécialisé depuis 2015. Durant sa formation en « activités physiques adaptées », il a fait un stage en Alsace dans une association qui l’a « inspiré ». Alors avec Céline, une étudiante rencontrée à l'Université de Strasbourg, ils ont le projet de monter leur propre association. Après divers reports dus aux parcours de l’un et de l’autre, Phénix voit le jour en 2017. La jeune femme doit finalement partir travailler dans une autre région et l’éducateur se lance seul en Provence.
Phénix, c’est une association de sports et loisirs adaptés : activités de groupes, suivi individuel, sorties, promotion du sport adapté dans les événements sportifs… Il y a donc le côté « club sportif » et puis les sorties loisir, un dimanche par mois, qui permettent simplement à ces personnes, jeunes et moins jeunes, d’exercer des activités « comme les autres » : cinéma, bowling, vélodrome, pêche… L’association accompagne là où c’est difficile. Elle donne accès, sans recherche de progrès ou d’évolution.
Les profils de maladies et de handicaps sont différents - beaucoup de personnes autistes, déficientes intellectuelles ou bipolaires, sous neuroleptiques - et donc les accompagnements aussi.
Les handicaps dans la pratique
Leur lieu d’exercice ? C’est partout ! Lieux de grand air, de sport, publics ou privés : piscines, terrains de foot… ville, campagne ou montagne. « Il s’agit avant tout de sortir » résume Jonathan, et de compter sur ses doigts presque 10 lieux et 10 activités par semaine, « au plus près des gens » ! Marche, foot, basket, vélo, natation, accompagnement en salle de sport, renforcement musculaire… « Ces personnes sont très souvent privées de sport par manque d’information ou de possibilité d’adaptation des activités. L’inclusion est difficile si les encadrants ne connaissent pas les peurs, les habitudes… » Jonathan a acquis une expérience. Il utilise un vocabulaire particulier, des phrases courtes, des exercices progressifs, des zones bien repérables dans l’espace, des codes couleurs…
L’an dernier, l’association a établi un partenariat avec le stade de la Molière, dans la banlieue d’Aix, un lieu à vocation plutôt sociale où il a reçu un bon accueil. Oui, son activité était la bienvenue et pouvait profiter du matériel et d’un entraîneur, comme les autres équipes du club… un discours qui change l’éducateur de ce qu’il entend trop souvent. Ils ont ainsi reçu des paquets avec tee-shirts aux couleurs du club, bonbons. Et dans l’autre sens, Jonathan a pu donner des informations et des conseils à l’entraîneur.
35 h deux fois
Par séance, une, deux, trois personnes… quelquefois un groupe de 6 ! De temps en temps, il y a Margo : elle vient pour comprendre et soutenir. Elle et sa comparse Marie (association « Raides de sport ») ont choisi d’aider financièrement Phénix au travers de leur participation aux 20 ans du Raid Amazones au Sri Lanka, en 2022.
« Phénix, c’est mon premier 35 heures » dit Jonathan sur un ton pince-sans-rire. Il en a un second, qui le nourrit. Il travaille effectivement comme éducateur spécialisé au Jas de Bouffan, un quartier plutôt déshérité. Heureusement, depuis octobre 2020, une maman est devenue directrice de l’association. Et le papa d’un autre jeune a proposé d’en être le secrétaire. Jonathan ajoute : « Cette maman a découvert que je n’étais pas payé, alors leur objectif, c’est que je sois salarié ! »
Jusque-là, les liens s’étaient noués plutôt avec des familles, mais Phénix commence à travailler également avec des institutions (ESAT, foyer de vie etc.).
Des évolutions
Au début, Eliott le discret tournait la tête à l’opposé quand on s’adressait à lui. Aujourd’hui, il s’applique, regarde, il est heureux et ça se voit, quand le ballon entre dans le but. « Ce sont des moments qui sortent de la routine. » Cela peut être angoissant, parfois ? « Oui, par exemple, quand il y a trop de monde, Eliott n’est pas bien. Mais c’est aussi ce qui permet d’avancer. » L’éducateur insiste sur l’importance d’être ensemble, par le biais de rencontres en petits groupes.
Avec les parents, il a des discussions et quelques retours. « J’ai commencé avec le petit Théo, qui avait 6 ans et qui en a 8 aujourd’hui. Maintenant, il parle et il demande quand je viens. Les parents, qui souffrent souvent, sont heureux de ces progrès. » La mère d’un autre Théo, de 18 ans, témoigne volontiers de la joie de son fils après une séance de sport ou une sortie.
Dans l’espace public
Grâce à ces sportifs, Jonathan a plein d’histoires à raconter : « Une fois, avec Théo justement, on est allés au stade de l’OM. Le rêve… sauf que Théo est agoraphobe ! Pas facile, la foule, la fouille… Les “stadiers” et le public ont vu qu’il était différent et ont adapté leurs réactions. Et au moment où Théo a manifesté sa joie sur un but de Marseille alors que le vent avait déjà tourné… sa réaction à contretemps a créé un gros malaise autour de nous… Mais ça a été vite rattrapé ! » Il avait fallu au jeune garçon, explique l’éducateur, tout le temps de s’approprier ce qui venait d’arriver, de se laisser toucher et de faire une place à l’expression de son sentiment de joie…
Bon vivant d’origine cévenole, issu d’une famille très investie dans l’Église, lui-même chrétien convaincu, Jonathan s’est récemment marié avec Nicole, une jeune Camerounaise rencontrée au pays en 2011, lors d’un voyage avec l’Église de Montpellier. Étudiant, il avait déjà séjourné durant 9 mois au Cameroun pour y découvrir l’accompagnement du handicap dans une autre culture !
On se dit que Nicole a intérêt à suivre le mouvement. De fait, elle accompagne les sorties mensuelles de l’association. Quand je l’interroge, elle répond en riant : « Est-ce que j’ai le choix ?! »