Marie Durand
On croit connaître la prisonnière de la tour de Constance et on a raison de se souvenir du mot qui est gravé dans la pierre de cette forteresse : Résister. Voilà la ferme résolution qui l’aida à tenir. C’est parfois à ce mot que se limite notre savoir sur elle. Mais... on ne sait pas qui l’a écrit !
On peut trouver étonnant que pour tout le XVIIIe siècle, nous n’ayons que son unique nom quand on cherche les femmes remarquables du protestantisme de notre pays. Pourquoi ? C’est que pendant tout un siècle, le protestantisme est officiellement absent en France. Depuis la Révocation de l’Édit de Nantes, le pouvoir (c’est-à-dire la Cour, mais aussi le clergé) affirme que tous les protestants du royaume sont de « Nouveaux Convertis », donc devenus catholiques. Du côté masculin on a les noms des martyrs, ceux qui ont été envoyés aux galères et surtout ceux qui ont été pendus ou brûlés pour avoir prêché dans des assemblées interdites. Mais seul le nom de Marie Durand est connu parmi les femmes qui, arrêtées dans lesdites assemblées du Désert, ont passé des années en prison, souvent jusqu’à la mort. Or elles ont été nombreuses et pas seulement à la tour de Constance.
Une femme parmi d’autres
Mais il est heureux que ce nom soit demeuré et que l’on en sache davantage sur cette résistante remarquable. Elle est née en Vivarais, en 1716, après la mort du vieux Louis XIV, au moment où, après les violences de l’insurrection cévenole, quelques jeunes gens cherchent à réorganiser les communautés d’une Église interdite depuis plus de trente ans. Le frère aîné de Marie, Pierre Durand est bien connu. Échappant aux arrestations d’une assemblée dénoncée et attaquée, il avait fui quelque temps en Suisse ; revenu en Languedoc, il exerçait le dangereux métier de prédicant. Consacré pasteur en 1726, au cours du premier synode national clandestin, il fut finalement saisi et pendu à Montpellier en 1732, laissant une jeune veuve. Son vieux père Étienne Durand avait été emprisonné pour faire pression pour que le fils s’exile à nouveau. Sa sœur Marie qui, âgée de 15 ans venait de signer une promesse de mariage devant notaire, fut emprisonnée à Aigues-Mortes par lettre de cachet, en avril 1730, aussi à cause du ministère de son frère et non pas pour participation à une assemblée.
Une force de caractère
Elle passera 38 ans dans la Tour, restant fidèle, exhortant et fortifiant ses compagnes. Comme elle était lettrée, c’est elle qui correspondait avec les Églises du Refuge pour solliciter des secours matériels, bien nécessaires. Elle eut aussi une très affectueuse correspondance avec sa nièce Anne, fille de Pierre, réfugiée en Suisse, qu’elle chérit comme une fille. On dispose de ses lettres.
La santé des prisonnières était souvent mauvaise. La région marécageuse provoquait l’été moustiques et paludisme ; l’hiver, les courants d’air glacials entre les meurtrières et l’humidité des murailles développaient rhumatismes et affections pulmonaires. La promiscuité était constante et l’hygiène inexistante. Lorsque Marie fut enfin libérée en 1768, elle était prématurément vieillie et fut souvent malade. Elle finit sa vie au Bouchet-de-Pranles dans la misère, aidée par des subventions de l’Église wallonne d’Amsterdam. Elle mourut en 1776.
Elle vécut en un temps où la tolérance émergeait à peine. C’est au cours des années 1760 que la persécution lâche vraiment prise. L’opiniâtre fidélité de cette femme – car une simple signature lui aurait permis de sortir de cette citadelle – fait d’elle un témoin admirable.