Luther et la guerre des paysans
Voilà déjà presque un an que nous suivons Luther. Nous avons découvert les grands principes et les révolutions que l’ancien moine a apporté à la chrétienté. Mais derrière le réformateur se cache aussi un homme qui a dû prendre position parfois difficile a assumé.
Avant de parler de la guerre des Paysans (1524-1525), nous en évoquons le contexte. Au début du 16e siècle, le Saint Empire est constitué d’une nuée d’entités juridiques souvent concurrentes, levant toutes l’impôt. Concernant la très nombreuse paysannerie, en plus des fermages seigneuriaux, la dîme est prélevée pour l’Église, et est souvent détournée par le temporel. De nombreuses corvées s’ajoutent à cela. Conjurations et séditions ne sont pas rares, et violemment réprimées. Le Saint Empire est un chaudron bouillonnant.
Les 95 thèses de Luther (octobre 1517), et les grands écrits réformateurs de 1520 ne sont pas directement des textes politiques mais, en appelant à une réforme de l’Église, ils ont aussi une portée sociale. Certains radicaux franchiront tôt le pas vers des revendications égalitaires.
Les doléances des paysans
Le manifeste des 12 articles (mars 1525), élaboré par trois groupes de paysans du Pays souabe, est largement étayé par des versets bibliques. Il réclame le droit pour les paroisses d’élire leurs pasteurs, l’abolition du servage, l’ouverture aux paysans des droits de chasse, de pêche, et de récolte du bois, une réévaluation des fermages, une négociation des corvées…
Dans son Exhortation à la paix (avril 1525), Luther reconnaît contre les seigneurs le bien-fondé de certaines des doléances des paysans. Il s’adresse aussi aux paysans pour les garder de vouloir obtenir une satisfaction immédiate ; il leur défend absolument de justifier des actes violents par les Saintes Écritures ou par une inspiration prophétique. Il prône la négociation.
La révolte des paysans
Mais, fin avril 1525, c’est l’embrasement. Sous l’influence de prédicateurs radicaux comme Thomas Müntzer (1489-1525), la révolte des paysans entre dans une phase belliqueuse à l’issue incertaine pour l’autorité. Le ton de Luther change du tout au tout. Il écrit le terrible Contre les hordes pillardes et criminelles des paysans. « Les paysans ne luttent plus maintenant pour l’Évangile, mais ils sont manifestement devenus des meurtriers sans foi (…) que même l’autorité païenne a le pouvoir et le droit de châtier ». « Un prince et seigneur est un agent de Dieu et le serviteur de sa colère (Romains 13) auquel le glaive a été confié contre ces coquins », « pourfende, frappe et étrangle qui peut ». Les révoltés seront écrasés en mai 1525 : au moins 100 000 morts.
Luther, informé d’atrocités commises par certains des vainqueurs, écrit une Missive sur le livret contre les paysans (juin 1525). Il affirme ne s’être adressé qu’« aux autorités qui voulaient se conduire chrétiennement, ou tout au moins honnêtement » et promet les feux de l’enfer à ceux qui « même après le combat, ne sont pas rassasiés de sang ».
Il existe un « nouage » complexe entre politique, ecclésiologie et théologie. Luther, qui défendait déjà sa Réforme contre l’Empire et contre l’Église romaine, doit la défendre aussi contre des réformateurs radicaux, en même temps qu’il défend l’Allemagne contre le chaos. Avec la guerre des Paysans, le temps des grandes audaces de Martin est passé. Celui de la structuration de la Réforme s’annonce.