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Comme une graine dans les épines

Martine Larrousse

08 octobre 2019

La paroisse d’Orange-Carpentras supprime souvent son culte, le premier dimanche de septembre, pour donner la priorité à l’assemblée du Désert. Alors rendez-vous est pris à Mialet avec Martine Larrousse, sa trésorière. Entre le culte du matin et les conférences, nous faisons connaissance.

Derrière la trésorière bien implantée dans le Vaucluse se cache… une demi-Cévenole, on l’aurait parié ! Ses parents, de Saint-Jean du Gard, ont migré à Avignon. Née à Carpentras, Martine Larrousse a fait des études de pharmacie à Montpellier. Elle y a travaillé un temps, puis est revenue dans le Vaucluse. Pharmacienne biologiste, elle a fait des remplacements, puis a ouvert en 1990 son laboratoire à Jonquières, près d’Orange. En 2012, elle le quitte et commence à travailler pour un groupe de labos, toujours comme biologiste. Il lui reste maintenant une année d’activité avant la retraite.

Martine se qualifie de protestante sociologique, au départ. Des parents plutôt éloignés de la vie paroissiale, un père athée. « Ce qui me plaît, commente-t-elle, c’est que quand ils se sont mariés, dans les années 40, on n’a même pas demandé à mon père d’où il venait ! Cela s’est fait au temple d’Avignon, sans aucun problème. » Jeune, seule de sa confession à l’école de Carpentras (ancienne terre papale !), elle a grandi face aux catholiques. « J’ai résisté, surtout quand un curé m’a dit que, même protestante, j’avais droit au paradis ! De quoi se mêlait-il ? Heureusement, l’Église catholique a beaucoup changé. »

Selon sa formulation, Martine n’a pu se marier autrement que « protestante » : « La question ne se posait même pas. Mon futur mari, catholique, n’a pas eu le choix… » Elle rit. « Non, reprend-elle, cela lui convenait. Philippe et moi sommes mariés depuis 45 ans et avons eu trois enfants, qui ont suivi le catéchisme protestant. » Ce qui l’a maintenue dans la communauté protestante, c’est, dit-elle, l’Histoire et la place que les femmes peuvent y avoir. « Quelque chose qui n’existe que là, pour l’instant… »

Avec le conseil presbytéral d'Orange © Ph. Larrousse

Un engagement mûri

La première fois qu’elle a été sollicitée pour devenir conseillère presbytérale, elle ne se sentait pas prête à cela. « J’étais peu informée - en général on ne sait pas bien en quoi consiste ce travail de conseiller. Mais peu à peu, j’ai compris comment le conseil fonctionnait, les besoins des paroissiens… ». Plusieurs années après, elle finit par accepter d’aller plus loin : « J’ai senti que c’était utile et, peut-être pour remercier de m’avoir attendue (longtemps j’ai participé de façon irrégulière…), je me suis engagée comme trésorière. »

Ce que Martine apprécie le plus dans cette vie d’Église, c’est la possibilité de partager sa foi avec toutes sortes de personnes vers lesquelles elle ne serait pas allée spontanément : « On vit des choses avec des jeunes, des moins jeunes, des gens de tous les styles. Côtoyer ces différences nous pousse à l’ouverture. Ma foi a toujours été là, avec des périodes de doutes, de questionnements, mais toujours présente, un peu comme la graine tombée dans les épines, qui résiste et qui pousse. » Elle témoigne qu’il existe dans son Église d'Orange-Carpentras une belle solidarité et solidité : « Notre paroisse est modeste, mais je pense qu’elle est solide car nous avons, par exemple, de nombreux prédicateurs laïcs… et ils sont bons ! »

© DR

 

Histoire et transmission

Je lui demande ce que cette « assemblée du Désert » représente pour elle. « Alors ça, s’exclame-t-elle, c’est “historique” aussi ! Je venais ici enfant avec mes parents et ma grand-mère, qui habitait du côté de Valleraugue. Je ne saisissais pas bien où était le “désert”, avec tous ces arbres… Après, l’Histoire permet de mieux comprendre. Et puis j’y ai amené mes enfants quelquefois. » Aujourd’hui plus libres, Philippe et elle se rendent régulièrement à ces assemblées annuelles. Ils font cercle avec sa sœur, un ami… « Je n’aime pas employer ce mot, mais il y a une “spiritualité” qui se dégage de ces lieux. Comme si les arbres, les murs parlaient ou dégageaient quelque chose. Le Désert… Et puis ce qui fait du bien, car on n’est pas nombreux dans nos paroisses, c’est de voir tout ce monde ! Cela signifie que d’autres que moi ont les mêmes convictions, ou presque, et que nous pouvons marcher ensemble. Venir ici, cela donne un petit coup de fouet, chaque fois ! Il fait presque toujours beau et on ressent ce quelque chose de particulier : le lieu, les gens… J’aime aussi le côté pas trop rigoureux, sympathique. On mange, on vit ! »

Nous évoquons la transmission à la génération suivante. Martine parle de ses trois enfants et de leurs liens plus distendus avec l’Église. « Je leur laisse le temps, ils feront peut-être comme moi : pendant toute une période, je ne m’en suis pas trop occupée, de l’Église ! J’ai une fille à Bangkok, qui s’est mariée en France avec un catholique, avec la participation du pasteur Visser’t Hooft et d’un frère catholique. Quand ils sont là, j’emmène leurs enfants au culte. De toute façon, il faut comprendre que, s’ils sont chrétiens, ils ne le seront pas comme nous l’avons été ! »

En savoir plus

Orange et les protestants

Il y a une histoire bien spécifique du protestantisme à Orange, principauté qui fut à la fois indépendante et souvent occupée. La ville a très tôt adopté la Réforme et Guillaume le Taciturne et ses successeurs, ses princes protestants, y réglèrent la vie entre catholiques et réformés. Martine Larrousse rapporte que les enfants trouvés de la ville étaient baptisés dans une confession ou dans l’autre selon les jours pairs et impairs ; Sophie Zentz-Amédro, pasteure, mentionne ces conseillers municipaux des deux « religions » qui siégeaient paisiblement… avant que Louis XIV ne vienne tout détruire et remettre en question. En effet, le Roi Soleil, en guerre contre divers pays européens et contre la foi réformée, n’a cessé de s’attaquer à cette ville problématique, devenue le refuge de nombre de ses sujets fuyant le royaume. Entre 1661 et le début du XVIIIe siècle, Orange fut donc prise et reprise, tantôt catholique, tantôt protestante.

Séverine Daudé
journal Échanges

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