Les pas de la fraternité
En 2010, la mairie de Manosque avait eu cette belle idée : créer une « plateforme interreligieuse » par laquelle les chrétiens de différentes confessions, les musulmans et les juifs étaient appelés à se rencontrer dans ses locaux, sous le nom de « Manosque Fraternité ». Mais en 2013, la mairie met fin à l’initiative. Pour les communautés, l’envie de poursuivre la route ensemble a été d’autant plus forte.
Lorsqu’on interroge les responsables de Manosque Fraternité, ce que l’on perçoit d’abord, c’est l’amitié sincère qui les unit. Les liens tissés au cours des années leur sont devenus précieux, vitaux même. Bernard Mourou, pasteur de l’Église protestante unie de France, est arrivé à Manosque en 2011. « Il y avait une grande timidité au début, dit-il. Mais depuis que nous avons décidé de poursuivre, en 2013, nos rencontres ont eu lieu chez les uns ou les autres – celui qui reçoit présentant une facette de sa religion. À partir de là, on a fait connaissance ! »
Bernard évoque l’action autour de la Lumière de Bethléem, ce parcours organisé par les scouts à travers l’Europe, avec une bougie symbole de paix, arrivée jusqu’à la mosquée de Manosque.
Il y a eu aussi la Journée des enfants, dont les jeux permettent de découvrir les autres religions ou convictions. Et, depuis 2016, les conférences interconvictionnelles organisées avec l’Université populaire de Forcalquier ont fourni l’occasion d’associer agnostiques et athées. Trois conférences par an, dont une est consacrée à la présentation d’une religion ou tradition de pensée.
Le pasteur commente : « Vient un public auquel nous ne sommes pas habitués, plutôt “université populaire”, donc réservé par rapport aux religions ! Pourtant, les conférences ont eu un vrai succès. » Plusieurs soulignent le très bon niveau de ces cycles, qui mélangent clercs et laïcs et ont lieu à la mairie de Forcalquier.
Le concert interreligieux avec le Conservatoire de Manosque tient aussi sa place : deux œuvres à dimension religieuse, choisies par chaque communauté, ont été travaillées par les professeurs et les élèves du conservatoire et jouées dans l’auditorium en avril dernier. Une expérience inoubliable.
Notre prochain
Alain Denizou, pasteur des Assemblées de Dieu à Perpignan il y a quelques années, était très engagé dans le même type d’organisation. « Il y a de grosses différences entre nous, mais on peut se respecter et vivre ensemble. » Alain entretient un lien fort avec la culture juive. « À Manosque, on a fêté ensemble Hanouka. Et certains ont découvert le judaïsme. » Il reconnaît que les fidèles de son Église sont restés loin de ces manifestations, mais précise que des membres de sa communauté étaient bien présents lors de l’arrivée de la lumière à la mosquée ! Il parle de ces images de l’actualité qui hantent les esprits. « On garde le plus terrible, souvent… Et quand on se parle, on découvre des êtres humains qui ont un cœur. Notre prochain, il est à portée de main, de voix. Jésus était au milieu de tous… »
Une représentante de la communauté juive, Danielle Ciaravolo, énumère spontanément quelques moments forts de ce parcours commun : « L’accueil à la mosquée avec les gâteaux et la prière pour la fin du ramadan, les repas pris ensemble, avec la fabrication du pain… Ou bien l’appel que nous avons signé au Camp des Milles et que les vieux musulmans voulaient signer aussi ! C’était très émouvant. » Mais Danielle ne peut pas taire ce qui la questionne : « Les familles musulmanes ne participent pas. Les gens de la mosquée sont modérés, il n’y a aucun problème avec eux, mais les autres musulmans, dans les quartiers difficiles d’accès ? » Elle fait volontiers référence à un passé heureux : « J’ai vécu en Algérie où j’ai connu la connivence entre les communautés ! On partageait les fêtes et les coutumes des uns et des autres. J’aurais tant aimé la retrouver ici, cette complicité… C’est difficile. »
Une confiance
Le regard d’Abdenour Bastianelli, représentant musulman, est un peu différent. Cet homme d’origine catholique s’est converti à l’islam en 2011. La même année, il a rejoint Manosque Fraternité. Est-ce que cela fait de lui un représentant un peu spécial ? « J’ai toujours fréquenté le fait religieux, ça aide ! Je me sens bien partout. » Abdenour met des mots sur les aspects positifs : « Effectivement, on a de la peine à faire passer à l’extérieur ce que nous vivons dans ces rencontres. C’est un vrai travail… Et l’imam ne parle pas encore bien le français. Mais nous sommes capables de partager ce qui nous est essentiel, c’est-à-dire la prière ! Lorsqu’il y a eu le meurtre du père Amel, ou le décès d’une catholique mariée à un musulman, l’église était remplie de musulmans. Pour moi, ceci n’a été possible spontanément que parce que, par ailleurs, il y avait une confiance et de vraies relations. Cela donne de l’espoir. »
Quand il a été proposé que la Lumière de Bethléem soit allumée dans la ville, Nathalie Fontaine, responsable des Scouts et guides de France à Manosque, dit avoir reçu un magnifique accueil. Depuis, cette catholique pratiquante et pragmatique, a intégré Manosque Fraternité et lui apporte son soutien. Son souhait ? Que la plateforme redevienne un interlocuteur pour la mairie. « Nous, les communautés, on ne peut pas résoudre les problèmes de délinquance. Mais on peut au moins montrer que ce n’est pas la religion qui divise ! Nous parlons la même langue. »