Les feux sauvages
Un film de Jia Zhangke, sortie le 8 janvier 2025, 1 h 51
Depuis plus de vingt ans, l’auteur est constamment passé du documentaire à la fiction en faisant, avec Zhao Tao, son actrice fétiche et sa compagne, le portrait critique et humoristique de la Chine et de ses spectaculaires transformations. Il renouvelle une fois de plus notre regard à travers une histoire d’amour ratée et bouleversante, dans laquelle il utilise pour la première partie un écrin sensoriel fait des rushes tirés de ses anciens films.
Le temps long et les grands espaces accueillent le déploiement d’une
histoire d’une simplicité racinienne : une jeune femme, Xiao Xiao, est
abandonnée par un garçon, Bin, qui la quitte pour aller au loin tenter
de réussir sa vie. Avant d’en percevoir le sens profond, on ne comprend
d’abord pas tout de ce road-movie romantique dans lequel on s’enfonce
comme dans un rêve antonionien. Le couple a vécu sa jeunesse au début
des années 2000 en chantant et en dansant à Datong, ville ouvrière du
Nord, et tout au long du film la passion de l’auteur pour la musique
populaire s’exprimera par la place qu’il fait aux chansons rock et à la
musique électronique du compositeur taïwanais Lim Giong, dont le ton
poétique et mélancolique est en accord avec le cheminement intérieur
des protagonistes. Lorsque Xiao Xiao, fil rouge de l’histoire, part vers le
Sud à la recherche de l’homme qu’elle aime, un émouvant portrait du
milieu ouvrier se dévoile, distillé par de fascinants travellings sur les
visages et les habitats en ruine et ponctué par les sublimes paysages qui
bordent les trois gorges du fleuve Yangtsé.
C’est à Datong à nouveau, à l’heure de la crise du Covid et de l’essor de
l’IA, que s’achèvera en 2022 cette amère histoire d’amour. Tous deux ont
vieilli. Lui est un homme brisé, un infirme. Elle, quasi mutique pendant
tout le film, ne s’est exprimée que par ses yeux : est-ce douleur, colère,
refus, face à la déstructuration sociale de ces deux dernières décennies,
et le prix de sa résilience ? Son silence éloquent interpelle le spectateur.
Document ethnographique passionnant, ce film captive à la fois par
son réalisme et son onirisme ; par la beauté des plans, la maîtrise des
mouvements de caméra et de nombreuses prouesses formelles, faites
notamment de lents et longs panoramiques.