Jean-Pierre Charlemagne
S’il est aujourd’hui connu comme l’un des coprésidents du label Église verte, le parcours de Jean-Pierre Charlemagne, père de quatre enfants et grand-père de huit petits-enfants, n’a en fait jamais cessé de tisser le souci pour l’environnement et une vie spirituelle intense. Rencontre avec l’un de ceux qui portent la question écologique au sein des Églises en France.
Son agenda de retraité est bien chargé. « Ce trimestre-ci, j’en suis à six allers-retours à Paris pour différentes commissions et comités autour des questions environnementales : label Église verte, réseau Bible et Création, commission environnement et justice climatique de la Fédération protestante de France… » Pas facile, a priori, dans ces conditions de trouver l’occasion d’une rencontre. Mais son pragmatisme et sa préoccupation constante de chercher des voies écologiquement durables lui font bien vite trouver une solution adaptée : « Je dois encore aller à Paris. J’ai un changement à Lyon. Si je prends le train précédent, j’ai deux heures de correspondance à Lyon. Ça irait ? » Rendez-vous est donc pris pour faire la connaissance de ce baroudeur écolo spirituel.
Une éducation au loin et informelle
Il est né en Lorraine, mais il n’y a quasiment jamais vécu. « Mes parents ont cependant toujours veillé à ce que nous soyons attachés à cette terre, à ce que nous gardions des liens avec nos origines françaises et lorraines. Même si j’ai grandi à Do Neva (ce qui veut dire Le vrai pays), mes parents nous ont toujours dit : “c’est peut-être le vrai pays, mais ce n’est pas notre pays”. » De fait, dès l’âge de deux ans, il suit ses parents en Nouvelle-Calédonie, où ses parents sont missionnaires à la base de Do Neva, qui regroupe, encore aujourd’hui, une école primaire, un collège et un lycée agricole, ainsi qu’un internat. C’est dans cet environnement très étendu, mais sécurisé, qu’il grandit. Il accompagne son père pasteur dans les tournées pour récolter les dons alimentaires destinés à faire vivre cette petite communauté. Il traîne du côté des ateliers de menuiserie où il apprend à manier le rabot et la scie. Il aide sa mère à l’atelier de couture où les doigts fins de l’enfant sont appréciés pour enfiler les fils sur les machines. À l’âge de sept ans, alors que ses parents sont en congé missionnaire en France et font une tournée pour faire connaître leur travail missionnaire à Do Neva, il séjourne un an chez un oncle qui possède une ferme en Lorraine. L’occasion, de nouveau pour lui, d’une éducation informelle riche et qui lui servira encore longtemps après pour dialoguer avec les familles des jeunes du Plateau ardéchois lorsqu’il sera enseignant au Collège cévenol du Chambon-sur-Lignon.
Cette éducation informelle l’a d’ailleurs profondément marqué et a certainement influencé sa propre façon d’éduquer plus tard. Pendant toute sa scolarité au collège et au lycée, il suit en effet des cours par correspondance et y acquiert une grande autonomie dans l’apprentissage. Ceci ne sera pas sans lui poser de problème, lorsqu’au congé missionnaire suivant de ses parents, il passe son année de première dans un lycée de la région parisienne. « Je trouvais pour le moins surprenant de devoir écouter un professeur nous raconter ce qui est déjà écrit dans les livres. Quant aux devoirs à la maison et au travail le week-end, je trouvais cela difficile. En suivant les cours par correspondance, j’avais pris l’habitude qu’une fois les leçons apprises et les exercices faits dans la journée, c’en était fini ! » Il réussit cependant à passer son baccalauréat, à Nouméa – et donc en décembre –, et profite des six mois suivants pour s’engager auprès de la jeunesse de l’Église protestante, en particulier via les Unions chrétiennes de jeunes gens (UCJG/YMCA), avant de commencer des études de sciences naturelles de retour en Lorraine.
C’est au cours de ses études qu’un événement vient marquer un tournant dans sa vie. Il est victime d’un grave accident de voiture où le conducteur décède. Lui-même, longuement hospitalisé, est habité par cette parole du Psaume 41 : « Heureux celui qui s’intéresse au pauvre… le Seigneur le garde en vie ! » C’est cette parole et cette conviction qui le décident de mettre sa vie au service des autres. Alors que ses parents ont été pour lui un exemple enrichissant par leur foi et leur engagement, que son père aurait aimé qu’il suive la voie pastorale à son tour, c’est à travers les œuvres des Églises qu’il se sent appelé à servir. Ce qu’il fera avec passion pendant quinze ans en Nouvelle-Calédonie avec son épouse Martine, au service de la Fédération de l’enseignement libre protestant ; lui comme professeur de sciences naturelles et animateur du réseau jeunesse, Martine comme secrétaire et animatrice en catéchèse.
Après les événements de 1984, il leur paraît difficile de retourner en Nouvelle-Calédonie et c’est sur le Plateau ardéchois qu’ils trouvent un nouvel ancrage. Martine trouve un poste comme secrétaire au Centre de vacances des Églises évangéliques libres de la Costette, Jean-Pierre comme professeur au Collège cévenol du Chambon-sur-Lignon, où il remet de la dimension spirituelle dans la vie de l’établissement, entre autres par la création d’un club biblique lycéen. Mais le déclin du Cévenol est déjà enclenché et après 14 années, Jean-Pierre rejoint à son tour la Costette, en tant que directeur. « C’est là que j’ai enfin lié ma préoccupation pour l’environnement et ma vie spirituelle. Alors que je m’évertuais à mettre en place un tri sélectif des déchets – ce qui est toujours un immense chantier dans un lieu de vie collective –, c’est devenu pour moi un motif de prière. Alors que la nature et l’environnement étaient pour moi une passion personnelle, c’est devenu un engagement collectif. »
L’âge officiel de la retraite ayant sonné, Jean-Pierre et Martine ont rejoint pendant six années le Domaine des Courmettes, siège de l’association A Rocha en France, pour faire vivre ce lieu, aujourd’hui emblématique de l’engagement des protestants dans la protection de l’environnement. Après cette semi-retraite, ils ont enfin réellement pris une retraite, dans le pays de Montélimar, mais Jean-Pierre poursuit, joyeusement et activement, ses engagements liant spiritualité et écologie.
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Église verte, un succès à gérer
En deux années d’existence, le label Église verte a, à ce jour, reconnu 340 paroisses, communautés, lieux de rencontres chrétiens dans leur démarche de sauvegarde de la Création. Les prévisions attendaient 200 labellisations en trois ans ! Aujourd’hui, le comité de pilotage du label doit faire face à ce succès. « Il nous faut revoir le modèle économique de ce label, en particulier parce qu’avec deux mi-temps, nous n’avons clairement pas les moyens de suivre la cadence actuelle. Mais, nous sommes également tournés vers l’avenir, en réfléchissant en particulier à une labellisation pour les mouvements de jeunesse et de leurs activités. Par ailleurs, nous sommes attentifs à des thématiques nouvelles qui surgissent et qui n’étaient pas encore autant au goût du jour lorsque le label a été pensé : collapsologie, biodiversité, etc. Enfin, nous cherchons à développer de nouveaux liens avec d’autres pays francophones. »