Frédéric Lamantia
Frédéric Lamantia allie sa recherche universitaire en géographie et sa passion pour l’orgue, mêlant allégrement les styles pour ouvrir des chemins de sens dans ses interprétations. Chansons profanes sur l’orgue de l’Hôtel de Ville de Villeurbanne pour accompagner les mariages, ou musique sacrée sur les grandes orgues du Grand temple de Lyon, ou l’inverse… Les repères habituels s’effacent pour qu’émerge le sens que la musique déploie comme autant de paysages.
Quels liens peut-il y avoir entre la géographie, l’orgue, le protestantisme, la chanson française ? Voilà la question que je me pose avant de rencontrer Frédéric Lamantia. Celui-ci nous accueille dans l’Hôtel de Ville de Villeurbanne, le seul en France à posséder un orgue en état de fonctionnement. Frédéric y est organiste depuis plus de 25 ans. Il est également organiste au Grand temple de Lyon, responsable de la coordination d’un master en relation avec l’Ukraine et d’un autre avec la Géorgie, maître de conférences à l’Université catholique de Lyon, et possède un doctorat en géographie. Grand amateur de chanson française, particulièrement attaché à Brel, il a adapté de nombreux morceaux à l’orgue et a travaillé en collaboration avec France Brel, la fille du chanteur. Ils ont enregistré ensemble un disque, Voici – 30 chansons de Brel transcrites à l’orgue. Au mois de septembre paraîtra son deuxième CD, L’orgue chante Piaf, une adaptation des chansons d’Édith Piaf. Il est accompagné pour cela par Michel Visse, percussionniste retraité de l’orchestre de Lyon. Le tout forme un ensemble inattendu, mais très agréable.
Sortir l’orgue de quelque chose de fermé
Frédéric a pratiqué pendant dix ans le violon et le solfège au conservatoire. En revanche, il a appris à jouer de l’orgue seul. « J’ai pris une quinzaine de cours d’orgue dans ma vie », confie-t-il. Tout d’abord, c’est sur l’harmonium situé à côté de la salle où il suivait l’école biblique qu’il s’exerçait. Puis, un jour, le pasteur Wagner l’entend jouer, et lui propose d’accompagner un culte. « C’était comme être balancé dans une piscine alors que vous ne savez pas nager », explique Frédéric. Et pourtant, il prend peu à peu l’habitude de jouer régulièrement au culte. Le pasteur le met alors en contact avec Guy Blanc, l’organiste du temple de la rue Lanterne. Celui-ci ne lui a jamais donné de cours, il l’a simplement laissé découvrir l’orgue et s’y exercer. Il remplace ensuite, durant l’été, l’organiste du temple du Change. C’est par hasard qu’il découvre l’orgue du Grand temple, lequel est alors dans un état catastrophique. Il se fixe pour but de le restaurer et, avec l’aide de personnes très diverses, il atteint en 2002 son objectif. Un jour, alors qu’il s’exerce sur l’orgue du Grand temple, la pasteure Anne Faisandier l’entend et reconnaît un morceau de Brel. C’est le commencement des cultes musicaux, cultes accompagnés par de la musique profane. Pour Frédéric, ce n’est pas un concert de variétés : il s’agit plutôt d’« écouter ce que Brel ou Brassens ont à dire sans chercher à leur faire dire ce qu’ils n’auraient pas dit ». Il se considère avant tout comme un organiste liturgique, et pas un concertiste. Mais nombreux sont ceux qui sont choqués à l’idée de l’entendre jouer de la musique profane dans un lieu sacré. Frédéric le regrette. Lui cherche avant tout à « sortir l’orgue de quelque chose de fermé, de trop classique ». Et d’abord, qu’est-ce que la musique profane ? Qu’est-ce que l’art sacré ? Pourquoi ne pas jouer un morceau de Brassens après une prédication, s’il correspond à l’idée, au message de ladite prédication ?
Jouer dans une cathédrale laïque
Frédéric n’est pas seulement organiste au Grand temple de Lyon. C’est également l’un des deux organistes de la mairie de Villeurbanne. Un orgue dans un bâtiment public ? Eh bien oui, c’est rare, et la mairie de Villeurbanne est d’ailleurs la seule en France à posséder un orgue fonctionnel. Depuis 26 ans, Frédéric anime les mariages, les réceptions officielles, les baptêmes républicains (qu’il appelle « parrainage civil »). Et son répertoire est varié puisqu’il est composé de plus de 800 titres ! De Brassens aux chansons Disney, en passant par Céline Dion et Jean-Jacques Goldman, sans oublier la musique classique, il essaye toujours de choisir un titre adapté à la situation. Et des anecdotes, il en a ! « Un jour, raconte-t-il, lors d’un baptême, l’enfant courait partout et personne ne s’en souciait ; j’ai joué Le Roi Lion ! » Pour les réceptions de délégations étrangères, il joue l’hymne national du pays, et les retours sont souvent positifs. Lorsqu’il a joué le morceau Pour toi Arménie, les personnes présentes ont commencé à chanter… Et, lors de la venue du cardinal Barbarin, celui-ci s’est arrêté pour discuter avec l’organiste qui ce jour-là jouait du Brel ! Par ailleurs, toutes les réunions du Conseil municipal commencent par un concert d’orgue. « L’Hôtel de Ville de Villeurbanne, remarque Frédéric en souriant, c’est un peu une cathédrale laïque ».
La musique : créer un lieu imaginaire à partir du réel
Parallèlement, Frédéric est aussi un géographe passionné. Outre son métier d’enseignant et de coordinateur du master franco-ukrainien à l’Université Lyon 2, il a présenté une thèse sur la géographie et l’opéra et a effectué un important travail sur les paysages ressentis dans la musique de Brel. C’est d’ailleurs cela qui l’a mis en relation avec France Brel ; très intéressée par ses recherches, elle a souhaité le rencontrer. Dans la conversation, Frédéric a parlé de sa transposition des œuvres de Brel à l’orgue, et, ayant entendu plusieurs morceaux, elle a suggéré la possibilité d’enregistrer un disque. Il a également publié au CNRS un article sur Les territoires musicaux dans Tintin, analysant, page par page, la célèbre bande dessinée pour retrouver toutes les références musicales. Et quid du lien entre la géographie et la musique ? Une chanson, selon lui, c’est un cliché, un instantané habité. C’est souvent (si ce n’est toujours) rattaché à un lieu, qu’il soit réel ou fictif ; parfois même, on assiste à la création d’un lieu imaginaire à partir du réel.
En savoir plus
Accompagné par la batterie de Michel Visse, soliste retraité de l’orchestre de Lyon, Frédéric Lamantia nous propose une douzaine de chansons d’Édith Piaf, adaptée à l’orgue, dans ce nouveau disque L’orgue chante Piaf. On pourra y retrouver des titres phare tels que La vie en rose ou Non, je ne regrette rien. Ce deuxième titre sera également repris en version bolero, clin d’œil à la carrière de Michel Visse. Il a en effet pris sa retraite après avoir interprété ce tube de Maurice Ravel pour la 140e fois de sa carrière.
Envoyer un chèque de 13 € (CD :
10 € et frais de port 3 €) à l’ordre de Lamantia à l’adresse suivante :
Lamantia
102 rue Anatole France
69100 Villeurbanne.