Derrière les promesses de mobilité
Le projet de loi dit « d’orientation des mobilités » doit faciliter le mouvement des citoyens et désenclaver les territoires. Prenons le temps de quelques réflexions sur la ou les mobilité(s) d’aujourd’hui, aidés du regard critique de Frédéric de Coninck, sociologue.
L’expression « en mobilité », très publicitaire, est emblématique de ce concept vendeur de technologies – téléphones, écrans portables… – puisqu’il s’agit de se mouvoir toujours en transportant son monde avec soi.
Mais lorsqu’on parle de mobilité physique ou géographique, comment ne pas se souvenir de cet « exode rural » qui fut la grande leçon de nos enfances ? Quelle mobilité, jadis, qui a transformé l’Hexagone en un autre pays ! En quelques décennies, la population française est devenue majoritairement urbaine. Actuellement, le mouvement s’est arrêté, mais l’INSEE parle d’« aires urbaines » dans lesquelles 95 % de la population française dépend de « la ville », par l’habitat et/ou l’emploi.
Quels mouvements ?
Au sein des espaces urbains et périurbains d’aujourd’hui se jouent des mobilités complexes. On pense à ces couples de « célibataires » parisiens à deux appartements, avec chacun son espace : une mobilité intra-urbaine, quand même bien assurée. Mais également à ces couples à deux lieux de vie, dans des régions différentes parfois, à cause d’opportunités d’emploi qu’on ne refuse pas. À ces personnes qui ont choisi une lointaine banlieue verdoyante pour la vie de famille, mais le paient de parcours quotidiens fastidieux pour travailler dans la grande ville. À ces familles, nombreuses, où, entre enfants et parents divorcés, on bouge chaque semaine (les enfants aussi sont en mobilité…). Autres grands « mobiles » d’aujourd’hui : les grands-parents (du moins ceux qui en ont les moyens), gardes d’enfants attendues aux quatre coins de la France, en période de vacances ! Au cœur des problématiques familiales et d’emploi, de services et d’échanges, la mobilité est devenue un enjeu prioritaire dans les politiques locales.
Autour du projet de loi
La mobilité, déclare le projet de loi déjà cité, est le « premier facteur d’émancipation individuelle, de cohésion sociale et territoriale », et la mobilité physique, « qui rend possibles toutes les autres (sociale, professionnelle…) », « doit être au cœur de la promesse républicaine ». Frédéric de Coninck, qui a notamment travaillé sur les réalités urbaines, n’adhère pas à ces affirmations enthousiastes. Par exemple, il souligne que « c’est justement parce qu’il est assez facile de se déplacer que l’on a pu augmenter les distances entre les groupes sociaux et développer des formes d’entre-soi ». Quant à la mobilité professionnelle, il fait valoir que « les distances domicile-travail continuent à augmenter sur le territoire français ». Ce qui crée une concurrence renforcée entre les salariés, qui doivent chercher du travail toujours plus loin. Il dénonce un enchaînement négatif couramment observé : « Les commerces se sont éloignés, les divers services aussi, les lieux de loisirs, les hôpitaux, etc. ». Et tout ceci n’induit absolument pas une mobilité sociale, selon notre sociologue : « Les enquêtes de l’INSEE montrent que la mobilité sociale est complètement bloquée en France depuis 40 ans ».
De nouvelles inégalités
Un clivage peut apparaître entre ceux qui bougent pour les vacances et les autres, rivés à leur quartier. C’est l’inégalité la plus visible ! Mais pour ce qui est de la vie de tous les jours, la mobilité est devenue « nécessaire et récurrente » pour beaucoup de citoyens modestes. Frédéric de Coninck insiste sur les nombreux emplois nouveaux, subalternes, contraints à la mobilité automobile, alors que, dans le même temps, les catégories les plus aisées peuvent choisir des lieux de vie bien desservis par les transports. Dans ce contexte, brièvement évoqué ici, le chercheur fait un lien évident avec la « crise des gilets jaunes », partie du prix du carburant. Il développe aussi le lien entre mobilité et vitesse, en référence au mouvement « slow ». « Slow », une lenteur qui dit surtout l’exigence de temps pour une vie qui ait du sens : « Plutôt que de parler de “droit à la mobilité”, résume le sociologue, j’ai envie de parler de droit à la qualité urbaine et au temps choisi » dans « un cadre de vie qui amène à moins de déplacements inutiles et contraints ».
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Voir le blog Tendances, espérance, de Frédéric de Coninck, sociologue et chrétien mennonite engagé.