L’héritage de MLK en France

Martin Luther King : un frère universel

30 novembre 2018

Christian Delorme, prêtre lyonnais né en 1950, est enfant puis adolescent quand Martin Luther King commence à faire parler de lui. Il a l’occasion d’un contact personnel. Pour le grand public, il devient « le curé des Minguettes » (nom d’un quartier de Vénissieux, près de Lyon), organisateur de la « Marche des Beurs » au début des années 80… Il donne ici son regard personnel sur le plus connu des combattants pour les droits civiques aux États-Unis.

À quand remonte votre intérêt pour la figure de Martin Luther King ?

Très jeune j’ai manifesté une grande sensibilité aux questions de la violence et de la paix, sans doute en raison des retombées de la Guerre d’Algérie dans le quartier de Lyon – la Guillotière – où je vivais. Parce que je cherchais une réponse à la violence du monde, je me suis passionné dès mes quatorze ans pour Martin Luther King Jr. et son combat non violent. Il est venu à Lyon les 29 et 30 mars 1966 – deux ans, donc, avant d’être assassiné. Je suis allé l’écouter en compagnie de ma mère, parmi quelque quatre mille personnes qui étaient réunies à la Bourse du Travail. Quelques semaines plus tard, je lui ai écrit via l’ambassade américaine à Paris et il m’a répondu ! Martin Luther King est la figure humaine et spirituelle qui n’a jamais cessé de m’habiter, de m’éclairer. Bien entendu, quand nous avons organisé, en 1983, la « Marche pour l’égalité et contre le racisme », dite « Marche des Beurs », nous nous sommes inspirés de lui et de Gandhi.

 

Quels grands axes de la pensée de MLK vous ont particulièrement intéressé, touché ?

Martin Luther King a remis en valeur la fonction prophétique dans l’Église. Complètement habité par la dynamique libératrice de la Bible, nourri tout particulièrement des expériences de Moïse, d’Amos, d’Ésaïe et de Paul de Tarse, il a fait entendre avec sa voix puissante et, plus encore, sa vie donnée, que Dieu est du côté des pauvres, des opprimés, des mal-aimés. Disciple du Christ, il a accepté de donner sa vie totalement, en sachant qu’une mort violente et prématurée était inévitable, mais que c’était le prix à payer. Également disciple de Gandhi, il a mis en œuvre des rapports de force non violents capables de faire plier les injustes tout en leur laissant la possibilité de la réconciliation.

Le pasteur Martin Luther King, accompagné de son traducteur, probablement le révérend Selebao, à la tribune de la Bourse du travail, à Lyon. (© Cliché Bibliothèque municipale de Lyon, Cote : P0702 B05 21 127)

 

Mesure-t-on aujourd’hui, 50 ans après sa mort, ce qu’a été cette lutte pour les droits civiques ?

L’Amérique reste un pays violent, surtout pour ses populations les plus pauvres. Dans les années 1950 et 1960, la violence raciste était souveraine dans les États du Sud. Dans ces années-là, le Ku Klux Klan faisait régner impunément sa terreur. Des lynchages de Noirs se produisaient et les assassins étaient acquittés par les tribunaux. Dans les États du Sud, les Noirs n’avaient pas le droit de partager les mêmes espaces publics que les Blancs, les mêmes restaurants, les mêmes piscines... Les écoles, les transports en commun pratiquaient la ségrégation raciale. Les Noirs étaient empêchés de participer aux élections. La protestation noire non violente a permis de mettre fin à tout cela.

 

Derrière MLK et sa voix vibrante, il y avait d’autres personnes, notamment des femmes, qui n’étaient pas très valorisées…

Martin Luther King a été avant tout un prédicateur noir baptiste, arrière-petit-fils, petit-fils et fils de prédicateurs de ces assemblées noires forgées dans l’esclavage. Sa première qualité a été la puissance de son verbe, ce qu’attendaient les fidèles des Églises noires pour qui la grandeur d’un pasteur se mesure à l’aune de son talent oratoire. Et la voix de Martin Luther King transportait les foules, parce que le pasteur d’Atlanta vivait ce qu’il disait.

Mais bien entendu, il n’aurait pas existé en tant que figure libératrice de ses frères et de l’humanité s’il n’y avait eu, avant lui, presque deux siècles de résistance à l’esclavage puis à la ségrégation. Martin Luther King n’aurait pas existé, non plus, si, en son temps, il n’y avait pas déjà eu un important mouvement pour les droits civiques. D’autres grands leaders noirs étaient présents sur la scène politique américaine (Roy Wilkins, Asa Philip Randolph, James Farmer...). Martin Luther King savait rassembler largement autour de lui : des gens venus de différentes Églises, des Noirs et des Blancs, des Juifs et des communistes, des anonymes et des vedettes du showbiz...

En ce qui concerne les femmes dans le Mouvement noir des droits civiques, il faut avoir à l’esprit que, dans les années 1950 et 1960, le grand souffle d’émancipation des femmes ne faisait que se lever. La culture des États du Sud, qu’elle ait été noire ou blanche, demeurait profondément machiste. Aujourd’hui nous savons que les femmes ont joué un rôle essentiel dans ce mouvement et aussi auparavant dans les combats pour l’abolition de l’esclavage. Les historiens commencent à leur rendre justice. Bien entendu, il y a Rosa Parks, qui a été le déclencheur du boycott des autobus de Montgomery en décembre 1955, mais on doit aussi citer Ella Baker, Septima Clark, Fannie Lou Hamer...

Le rêve de Martin Luther King traverse les générations

(© Reuters)

 

La dimension religieuse de MLK, qui est incontournable, parle-t-elle aujourd’hui au public – laïc, français ? Et à vous, catholique, comment parle-t-elle ?

On ne peut dissocier le combat de Martin Luther King de sa foi profonde et de la mission divine dont il se sentait investi. Le pasteur d’Atlanta, prix Nobel de la paix 1964, s’est révélé un héraut et un héros des droits de l’homme, au-delà de toutes les frontières confessionnelles. Il demeure une incarnation du combat pour la dignité de tout être humain.

Quant à moi, je fais partie d’une génération de catholiques européens qui a grandi dans l’œcuménisme et qui sait combien la Réforme a été un choc salutaire pour l’ensemble du christianisme. Je ne me conçois pas chrétien sans les membres des autres Églises. Martin Luther King appartenait, certes, à une Église particulière : l’Église baptiste noire du Sud des États-Unis, mais il a été un ministre de l’Évangile universel, un frère universel, et c’est pour cela qu’il peut être pour moi un modèle.

 

Quel regard porte-t-on sur la « non-violence » aujourd’hui ?

En mettant au point une stratégie non violente, Gandhi faisait du neuf. Cette « stratégie » a été reprise par Martin Luther King, mais aussi en Amérique latine, en Europe de l’Est, en Ukraine… Aujourd’hui, on ne voit plus que la stratégie, les moyens visibles. Or plus j’approfondis cette réalité, plus il est évident que la non-violence est d’abord un état d’esprit, une spiritualité. Ce qui a fait le succès de Gandhi ou du pasteur King, c’est qu’ils s’appuyaient sur des masses de personnes nourries par un état d’esprit non violent – dans des religions différentes. L’Inde avait dans ses valeurs le refus de faire du mal. Les foules du Sud mobilisées par MLK étaient façonnées par les negro spirituals. Il faut rappeler que leur finalité, et la nôtre, c’est un monde réconcilié, ce que Martin Luther King appelait « la Communauté Bien Aimée ». Une autre manière de parler du Royaume de Dieu en marche.

Propos recueillis par Séverine DAUDÉ
journal Échanges

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