Le Livre d’Esther
Le livre d’Esther peut être lu comme le témoin de l’humour paradoxal, au fond amer, mais courageusement réjouissant, d’un peuple injustement persécuté.
Dans la Bible hébraïque, Esther fait partie des Cinq Rouleaux, ces cinq livres correspondant chacun à une fête de la liturgie juive. Esther est lue à Pourim, la fête des Sorts (février-mars), fête pleine de joie et de réjouissances, à la synagogue comme dans les familles, et appréciée des enfants. Notre mi-carême d’autrefois lui correspondait un peu, avec son festin, ses cadeaux, ses déguisements, ses jeux d’enfants, etc. S’y ajoute l’obligation de faire des dons aux pauvres.
Le livre raconte en fait un conte populaire censé se dérouler à Suse, capitale de l’empereur perse Assuérus (Xerxès), dont l’épouse, Esther, est secrètement juive. Le ministre Haman, méchant descendant des Amalécites, jaloux du Juif Mardochée, pousse l’empereur à décider la mort de tous les Juifs de son empire. Grâce à Mardochée, qui déjoue un complot, et à la courageuse intervention de la reine, cela se retourne finalement contre lui : les Juifs ne mourront pas, mais bénéficieront au contraire de la faveur de l’empereur et c’est le méchant qui mourra.
Sur le plan littéraire, c’est une farce venue du fond des temps, avec un roi fainéant, ivrogne et décervelé, un méchant intégral, traître habité par une haine sans fond, mais qui tombe dans son propre piège, enfin un héros juif intègre et fidèle à son roi et une reine bellissime, les noms de ces derniers évoquant plus la déesse Ichtar, la Vénus des Sémites, et Mardouk, le grand dieu des Babyloniens, que ceux des héros bibliques !
Ce livre, écrit peut-être vers 150 av. J.-C., donc le dernier du canon hébraïque, présente cette particularité de ne pas mentionner Dieu, ni même de l’évoquer. Il assume totalement la dissémination des Juifs, la diaspora, au sein des sociétés païennes, mais se concentre sur le danger permanent que cela constitue pour ce peuple.
On peut donc le lire comme le témoin de l’humour paradoxal, au fond amer, mais courageusement réjouissant, d’un peuple injustement persécuté qui rêve certes de revanche, mais surtout de solidarité et de sécurité.