Des traditions qui ont encore du sens

Le goût de Pâques

15 avril 2021

La longue période qui conduit jusqu’à Pâques est truffée d’habitudes liées à l’alimentation. La vie, la mort et la résurrection de Jésus le Christ se célèbrent aussi avec ce que l’on met ou refuse de mettre dans sa bouche.

Comment ?

Pâques commence à Mardi gras avec une profusion de pâte frite : beignets et beugnons, chichifregi et fritelles, donuts et boules de Berlin, cuisses-dame et merveilles.

Pâques continue par le carême, par un « manger maigre » qui reste fréquent même s’il n’est plus obligatoire dans l’Église catholique romaine depuis 1966. Pendant quarante jours « ouvrables », des catholiques se privent de viande, de sucre et d’alcool, plus largement de produits d’origine animale comme la crème et les œufs. Le protestantisme prône une tempérance régulière plutôt que des pénitences occasionnelles, revendique un droit au manger gras en toutes circonstances et fête parfois ses carnavals en plein carême. Ce qui n’empêche pas des Églises protestantes d’organiser des soupes de carême où l’on mange peu par solidarité et pour soutenir financièrement des projets d’entraide, ni des protestant·e·s de participer à des jeûnes qui leur donnent la possibilité de méditer notamment sur leur relation à la nourriture.

 

Pâques peut intégrer la célébration d’un « agneau pascal », un repas méditatif pris le jour où l’on commémore la dernière Cène. On commence par manger un méchoui et une soupe aux orties en relisant Exode 12 et l’on termine en partageant du pain et du vin en relisant Marc 14.

Pâques se conclut avec Pâques, dans une profusion de nourritures sucrées, comme s’il fallait rattraper le temps perdu et même quand on ne l’a pas vraiment perdu : du chocolat, des pains briochés, des œufs durs que l’on « taque » en rappelant que « Christ est ressuscité », de l’agneau ou du cabri.

Les aliments, les repas et les jeûnes sont un bon mode de

transmission, peut-être un des meilleurs qui soient.

(© Pixabay – Benjamin Alexander)

 

Pourquoi ?

Les aliments, les repas et les jeûnes sont un bon mode de transmission, peut-être un des meilleurs qui soient. Puisque manger est un besoin humain fondamental et quand se nourrir peut faire l’objet d’un choix plus ou moins libre, on peut utiliser les aliments, les boissons, les repas et les jeûnes pour faire entrer dans le corps une vision du monde, de ce qui est permis et interdit, de ce qui est bien et mal, de ce qui est juste et faux.

Par principe, le protestantisme s’est peu servi de ce mode de transmission, la Cène exceptée. Ou plutôt, il s’en est servi pour faire faire l’expérience de la liberté et de la responsabilité. Il enjoint de manger comme on veut et ce qu’on veut. Ce qui n’évite pas que les nourritures de Pâques puissent prendre des valeurs symboliques, qu’elles fassent entrer Pâques par la bouche, qu’elles fassent pénétrer Pâques jusqu’à l’intérieur du corps de celles et ceux qui les mangent et les boivent.

 

Consommer des nourritures réconfortantes, riches et sucrées peut donner à Pâques le goût du bonheur, un goût que renforcent les périodes de privations. Consommer les nourritures mentionnées dans les récits de l’Exode et de l’Évangile peut lui donner le goût de la libération. Consommer des nourritures de saison peut lui donner le goût du monde qui nous fait vivre. Consommer des nourritures locales peut lui donner le goût de la culture que nous participons à créer.

 

J’ajoute un souhait. Que Pâques ait aussi, ait toujours, le goût de la vie, un goût dont on le prive en mangeant de jeunes animaux tués pour la circonstance.

 

 

En savoir plus

Huit chroniques

Pour compléter cet article, je propose sur mon blog (olivierbauer.org) huit chroniques échelonnées de Mardi gras à Pâques, intitulées Le jour V : un “conte” à rebours de Mardi gras à Pâques. Pour chaque date symbolique, j’évoque un moment de la vie gastronomique et spirituelle d’une famille œcuménique multiculturelle avec deux mamans et un enfant, bref d’une famille tout à fait typique.

Olivier Bauer
professeur de théologie pratique université de Lausanne

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