Réflexion

Le chemin met l’esprit en marche

27 juin 2018

Michel Paret est pasteur de l’Église protestante unie de France et grand marcheur (devant l’Éternel ?). Il livre, dans ce texte, son témoignage sur ce que le chemin et la marche mettent en mouvement dans sa vie spirituelle.

La Bible est un recueil de cheminements, de passages. Ces déplacements sont souvent symboliques, à l’image de ce texte d’Ésaïe : « Je ferai marcher les aveugles sur un chemin qu’ils ne connaissent pas, je les conduirai par des sentiers qu’ils ignoraient, je changerai les ténèbres en lumière devant eux » (Ésaïe 42.16, voir aussi 40.31). Le prophète Michée semble plus radical lorsqu’il écrit : « On t’a fait connaître, homme, ce qui est bien et ce que l’Éternel demande de toi : c’est que tu mettes en pratique le droit, que tu aimes la bonté et que tu marches humblement avec ton Dieu » (Michée 6.8). Dans ce cadre, marcher devient un exercice de fidélité au Créateur.

 

La marche fait rupture dans le rythme

Avec quelques années d’expérience et ayant partagé avec d’autres marcheurs, je peux dire que la marche modifie lentement notre centre de gravité. En marchant, on se met à aimer la terre, à apprécier son rythme. Dans une société de l’immédiateté, la marche, par sa lenteur, fait rupture. Elle est un acte politique dans un monde de vitesse. Des radicaux de tous poils, anarchistes, chrétiens, philosophes, ont élaboré leur pensée en marchant. Célèbre petit-fils et fils de pasteur, Friedrich Nietzsche a critiqué ceux qui ne marchent pas, disant : « Être cul de plomb, voilà par excellence le péché contre l’Esprit ! Seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose » (Le crépuscule des idoles, pensée 34). Ainsi s’opposent ceux qu’Arthur Rimbaud appelle Les Assis, qui « ont toujours fait tresse avec leur siège » (Les Assis, dans Œuvres complètes, bibliothèque de la Pléiade), et les marcheurs.

La marche modifie lentement notre centre de gravité (© Patrick Peycru)

 

Aujourd’hui la marche a le vent en poupe. Même si, lorsqu’un ami dit : « J’ai fait le GR 20 » ou « le Camino Francès », il y a fort à parier qu’il n’a fait que l’aller. Le retour a été effectué en train ou en avion… Le tourisme pédestre, les échappées de quelques jours, sont une première étape vers des sentiers de liberté. Et bientôt vous ferez la différence entre une sortie estivale et la marche comme mode de vie. C’est à l’épreuve de la durée que l’on distingue le marcheur du touriste, car « le chemin est une alchimie du temps sur l’âme » (Jean-Christophe Rufin, Immortelle randonnée).

 

Dans la vie et dans la Bible, le chemin génère des rencontres et des transformations. Les pèlerins d’Emmaüs (Luc 24) rattrapés par le Ressuscité sont radicalement transformés. La vie et la société nous façonnent, mais après quelques jours de marche, des fardeaux qui nous collent à la peau se détachent l’un après l’autre. Alors cette marche prend une dimension spirituelle, régénératrice, voire même salvatrice ; ce pèlerinage devient « une longue prière effectuée par le corps » (David Le Breton, Éloge de la marche). Le chrétien, dans son mode de vie fidèle, est en marche à la suite de Jésus-Christ.

 

Apprécier une liberté volée par la société

On me demande quelquefois des conseils ou des avis… Pour marcher, recherchez le silence, la solitude. La marche à deux, c’est déjà un pique-nique. Lâchez l’iPhone, le lecteur MP3 et attendez une semaine avant d’aller dans une bibliothèque publique pour envoyer un courriel à vos proches. Bientôt, vous apprécierez une liberté que la société vous avait volée. Vous respirerez pleinement à nouveau, vous sourirez aux animaux dans les prés, vous écouterez les arbres. Marcher est une ascèse, un chemin de vie.

 

Les premiers jours sont souvent exaltants, surtout si le temps est au beau fixe. Les suivants nous permettent de prendre la mesure de notre corps, de nos choix de vie, de nous connaître et peut-être même de renaître à la vie. Comme le dit Jacques Nieuviart, « la marche est en cohérence totale avec le message de la Bible » (Jacques Nieuviart, Nomades).

 

Si vous ne pouvez partir, alors prenez le chemin à la suite de Robert Louis Stevenson, Élisée Reclus, Léon Tolstoï, Edward Abbey, Henry David Thoreau, la Bible… Marchez avec votre tête. Grand marcheur, Théodore Monod a écrit : « Je ne peux m’empêcher de penser que la foi est une recherche et qu’elle doit nous mettre en partance, faire de nous des marcheurs. […] Dieu ne se laisse pas toucher facilement. Il faut avoir une âme de nomade pour le trouver... »

La marche prend une dimension spirituelle, salvatrice (© Patrick Peycru)

 

S’autoriser à lâcher prise sur les habitudes

Ce que j’aime en marchant : le calme, les espaces et la proximité grandissante avec les forêts, les champs, les fleurs sauvages, les ruisseaux et les traces du passé. Il y a aussi l’inconnu et une certaine fragilité. J’aime aussi l’eau, le pain, le miel, mon sac, un vieux sweat-shirt qui m’apporte le confort et le souvenir d’un ailleurs molletonné. La marche m’expose au vent, à la fatigue, au silence, à l’émerveillement, qui permettent d’accueillir la nouveauté, de lâcher prise sur mes habitudes, mes préoccupations. Mais il y a aussi l’impact de l’homme sur la terre, les déchirures causées par les voies rapides, autoroutes et trains à grande vitesse...

 

Jusqu’à présent je marchais seul. Bientôt Walden, mon jeune chien, qui vient de passer le cap des 25 km, m’accompagnera. Nous pourrons ensemble partager ces déplacements lents et vivre des bivouacs.

 

 

 

 

 

En savoir plus

 

 

On the road : a spiritual awakening

Michel Paret is a minister of the French Protestant United Church of France in Montargis and a dedicated walker. He describes how walking  shapes his spiritual life.

In the Bible walking is being faithful to the Creator : "And I will lead the blind in a way that they do not know, in paths that they have not known I will guide them." (Isaiah 42.16), and "What does the Lord require of you but to do justice, and to love kindness, and to walk humbly with your God ?" (Micah 6.8).

Walking helps to appreciate the earth, and its rhythm. Anarchists, christians, philosophers have developed their thinking while walking.

In life, as in the Bible, the road generates encounters and changes. Life and society mould us, but  walking a few days will make us shed our burdens, as Christians following Jesus.

When you walk, seek silence and solitude, walking is akin to asceticism, it is a life's way.

The first days are often uplifting, the next days will help us assess our body, our life choices, to know ourselves, to be born again.

If you cannot go away, then read, walk in your mind.

What I enjoy when I walk : the open spaces, water, bread, honey, my backpack, an old sweater that comforts me into shedding  my old habits and  my worries.

Michel PARET,

pastor in Montargis

 

 

 

Wandern macht den Geist mobil

 

Michel Paret, Pfarrer der EPUdF in Montargis (Loiret) und großer Wanderer.

Die Bibel ist ein Buch der Wanderungen, der Überquerungen. Symbolisch zu sehen wie in Jesaja 42,16 : „Aber die Blinden will ich auf dem Wege leiten, den sie nicht wissen ; ich will sie führen auf den Steigen, die sie nicht kennen ; ich will die Finsternis vor ihnen her zum Licht machen.“ Hier zeugt Wandern von der Treue zum Schöpfer.

 

Anderer Lebensrhythmus

Man fängt man an den Erdboden zu lieben, seinen Rhythmus zu schätzen. In einer Gesellschaft der Sofortigkeit ist Wandern durch seine Langsamkeit ein Bruch, ein politischer Akt in einer Welt der Geschwindigkeit. Radikale aller Art, Anarchisten, Christen, Philosophen haben ihr Denken im Gehen ausgearbeitet.

 

Wandern ist Mode geworden. Erzählt jemand vom WW 20 oder dem Camino Francès, so ist er sicher nur den Hinweg gelaufen, zurück ging es per Bahn oder Flug.

Leben und Gesellschaft formen uns, aber nach ein paar Tagen Wandern fallen die Lasten, die uns an der Haut klebten, ab. So erhält die Wanderung eine spirituelle, eine regenerierende, eine heilende Dimension : der Pilgerweg wird „ein langes Gebet des Körpers“ (David Le Breton). Der fromme Christ folgt Jesus nach.

 

Freiheit

Suchen Sie Stille und Einsamkeit beim Wandern, ohne Mails oder Telefon. Sie werden die durch Schnellstrassen verursachten Risse in der Natur sehen und eine Freiheit schätzen, die die Gesellschaft Ihnen gestohlen hatte.

 

Bis jetzt ging ich allein. Mein junger Hund Walden wird künftig mitkommen.

Michel PARET,
pasteur à Montargis (Loiret)

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