France-Suisse, deux Églises protestantes qui dialoguent
Pour les protestants français, les Églises protestantes suisses sont les grandes sœurs que l’on regarde avec envie. Dans la réalité, le dialogue entre ces deux Églises alimente une réflexion plus moderne.
Les Églises évangéliques réformées, qui sont pour la plupart des Églises nationales en Suisse, remontent à la Réforme du 16e siècle. Comme la Confédération était alors un conglomérat d’États n’ayant que de faibles liens entre eux, la Réforme ne s’est pas déroulée partout de la même maniére.
Avec Ulrich Zwingli, Zurich est devenue le centre de la Réforme zwinglienne, qui s’est également propagée dans les parties germanophones de la Confédération. La Genéve de Jean Calvin fut le centre de la Réforme calviniste, qui s’imposa dans les régions francophones.
Zurich et Genéve, deux villes réformées, ont ensuite formé une seule famille d’Églises, notamment grâce à l’accord entre Calvin et Heinrich Bullinger, le successeur de Zwingli, qui a été consigné dans le Consensus Tigurinus de 1549.
Oser témoigner dans le monde contemporain
Aujourd’hui, c’est une Église qui se désinhibe pour témoigner, oser et rompre avec les habitudes, pour le faire d’une maniére audible et attractive pour le grand public. L’intuition géniale des réformateurs a été d’abandonner le latin pour parler la langue de leur époque. Cinq siécles plus tard, la nécessité de s’approprier la langue et les codes du présent demeure.
En Suisse, des initiatives ont vu le jour pour atteindre les gens là où ils se trouvent. Inspirées par l’expérience du renouveau au sein de l’Église anglicane, les Églises ont développé plusieurs projets pionniers. Elles en font l’une des priorités pour les années à venir. Ces offres atypiques s’adressent à des personnes en quête de sens et de spiritualité qui ne trouveraient pas la nourriture nécessaire dans les paroisses traditionnelles.
Avec quel résultat ? S’engager dans des voies alternatives prend du temps. Mais prétendre que les Lumiéres doivent tout à la Réforme serait faire fi de l’histoire. Si la pensée des réformateurs s’est imposée autant que nous nous en souvenons, c’est parce que la société était suffisamment mûre pour la laisser prospérer.
Ou, comme le dit Christophe Monnot, maître de conférences en sociologie du protestantisme à l’université de Lausanne : « Si Luther n’a pas fini sur le bûcher comme Jérôme Savonarole, c’est parce que ses thèses ont trouvé un écho auprès des princes. Elles étaient à la hauteur de l’époque. »
Un protestantisme fragmenté
Le protestantisme donne aujourd’hui une image fragmentée, et personne ne peut dire ce qu’il en sortira. D’un côté, nous assistons à une trés forte affirmation de l’identité chrétienne. De l’autre, on assiste à des efforts d’adaptation au monde moderne, qui peuvent conduire les protestants à perdre tout profil, jusqu’à ce que leur identité se dissolve.
J’espére que nous pourrons surmonter ces deux extrêmes. Cette question du profil est importante. Les questions d’identité ne doivent pas être laissées aux seules affirmations conservatrices. D’autre part, si le religieux doit certainement s’adapter aux réalités actuelles, il ne doit pas se fondre pour autant dans une homogénéité sociale.
Ainsi, les analyses actuelles reconnaissent la grande importance historique du protestantisme. Mais sa place sur le plan sociopolitique est plutôt minimisée aujourd’hui. Au lieu d’être rejeté, ce protestantisme se serait au contraire totalement intégré dans la société.
Pour les Églises en Suisse, le protestantisme en France reste une référence concrète d’Église minoritaire. En même temps, la vie de celui-ci alimente/contribue à la réflexion du devenir des Églises helvétiques. L’influence des communautés protestantes issues de l’immigration s’est accrue. Elle donne au protestantisme un caractére multiculturel beaucoup plus marqué.
Sociologiquement, le protestantisme suisse se fragilise : la primauté de l’individu sur l’institution et du discours sur le rite, la quasi-abolition de la distinction entre clercs et laïcs, ainsi que les tensions internes considérables entre un fondamentalisme évangélique et un libéralisme prononcé en sont les causes.
On se demande dans quelle mesure et de quelle manière le protestantisme peut encore se différencier de la société pour être audible et visible afin d’« entrer » dans cette nouvelle ère du christianisme…