Nouvelle-Calédonie

De la fraternité évangélique à la fraternité civile

28 août 2018

Le 4 novembre prochain, les habitants de la Nouvelle-Calédonie seront amenés à se prononcer sur l’avenir du Territoire par referendum : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » C’est là une étape majeure, sinon un aboutissement d’un processus initié il y a 30 ans, alors que cet archipel venait de subir une décennie marquée par des événements tragiques.

 

Mon épouse et moi-même avions été envoyés par la Cevaa – Communauté d’Églises en mission – comme coopérants pour enseigner au collège protestant de l’île de Maré, en février 1988. Dire que la situation était tendue est un euphémisme. En mai allaient se dérouler les élections présidentielles opposant François Mitterrand à Jacques Chirac, boycottées par les indépendantistes. Les gendarmes mobiles et l’armée quadrillaient le Territoire, ce qui n’empêchait ni les barrages ni, en Grande Terre, les caillassages. Le plus dur, outre le blocage du petit aéroport transformé en fortin, était le manque d’informations fiables : nous faisions plus confiance à France Info qu’à la radio et la presse locales, noyautées par le parti loyaliste.

Trois choses demeurent : la ferveur, la fraternité évangélique et la coutume (© famille Paul)

 

Un territoire sous tension

Nous avons vécu de très près l’espoir et le tragique : les Accords de Matignon de 1988 et son historique poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, et l’année d’après, en 1989, l’assassinat de ce dernier avec Yéiwéné Yéiwéné dont les enfants étaient nos élèves… Je me souviens aussi de la visite de Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation nationale, dans notre collège, de la fierté pour tout le personnel de se sentir reconnu, tout en ayant préparé une longue liste de revendications pour l’amélioration de l’éducation de nos élèves. Le changement était surprenant : un an auparavant, un char antiémeute était entré dans le collège à l’heure de la sieste et pointait son canon dans toutes les directions, à la recherche de soi-disant terroristes !

 

Un territoire plus pacifique

Quinze ans après, en 2003, nous revenions sur le Territoire, sur l’île voisine de Lifou, toujours comme envoyés de la Cevaa, mais au Centre de formation théologique de l’Église, dans une situation nettement plus pacifique. Beaucoup de choses avaient changé : développement économique avec du commerce et des services, tourisme de masse et ses bateaux de croisière, cadres calédoniens à des postes de responsabilité. Pourtant, deux choses demeuraient : la ferveur et la fraternité évangélique et la Coutume, c’est-à-dire cette manière particulière des Kanak de vivre les relations sociales. Le plus marquant a été, pour nous, d’avoir toujours été considérés comme des frères et sœurs en Christ, même dans les moments de tension les plus vifs. Jamais nous n’avons craint pour nos vies (excepté pendant certains cyclones) et, quinze ans après, nous avons été accueillis comme si nous nous étions quittés la veille. Ce fut, c’est toujours, une grande leçon de foi et de fidélité.

 

Mieux vivre ensemble

Aujourd’hui, un Comité des sages prépare l’après-referendum en rédigeant une charte précisant les points fondamentaux du vivre ensemble de la société calédonienne. Il y est question de liberté, d’égalité et de fraternité, mais aussi de valeurs chrétiennes. Espérons que la fraternité évangélique telle que nous l’avons vécue puisse aussi se traduire, dans l’avenir, en fraternité civile où l’autre n’est pas d’abord jugé sur des critères ethniques, politiques ou sociaux, mais considéré pour ce qu’il est : image de Dieu pour les croyants, frère ou sœur en humanité pour les autres.

 

 

Gilles VIDAL,
professeur d’histoire contemporaine à l’IPT de Montpellier

Commentaires