L’adoption

Causes et conséquences des évolutions récentes  

31 octobre 2019

Depuis le milieu du xxe siècle, la pratique de l’adoption a beaucoup changé en France et en Europe : diminution du nombre d’enfants adoptables, adoption à l’internationale, possibilité pour les couples de même sexe d’adopter… Entretien avec Jean-François Mignot, sociologue et démographe, chercheur au CNRS.

Quelles sont les différentes formes d’adoption aujourd’hui ?

– Il y a différents types d’adoption en France. Il faut distinguer l’adoption des mineurs de l’adoption des majeurs qui existe depuis 1804. Ensuite, il y a deux formes juridiques, l’adoption simple et l’adoption plénière. L’adoption simple consiste à rajouter un lien de filiation. Prenons un exemple. Une personne, mineure ou majeure, est adoptée par un couple d’amis alors qu’elle a encore ses parents ; elle sera désormais dans un lien de filiation avec quatre parents simultanément, deux pères et deux mères. La seconde adoption, dite plénière, elle, vient en substitution. Exemple : un enfant est abandonné par sa mère célibataire et adopté par un couple. Il a alors deux nouveaux parents, et perd tout lien juridique avec ses parents biologiques. Enfin, il convient de distinguer l’adoption intrafamiliale (par un membre de sa famille), de l’adoption extrafamiliale (par un couple n’ayant aucun lien avec la famille de l’adopté) et internationale (adoption d’un enfant étranger).

 

Quelles sont les adoptions les plus fréquentes ?

– Ce sont des adoptions simples de majeurs. Et peu de médias s’en font l’écho ! Le cas le plus classique est celui d’un beau-père adoptant les enfants de son épouse. En effet, le nombre de divorces ayant considérablement augmenté, la courbe des remariages a suivi. Le plus souvent, des hommes épousent en secondes noces des femmes qui ont la garde de leurs enfants. Et, ayant un patrimoine à transmettre, ils décident d’adopter leurs beaux-enfants sur le tard. C’est pourquoi l’âge moyen des adoptés en France est de 35 ans. Cette adoption est bien plus fréquente que celle des mineurs.

(© Lucile)

 

Qu’est-ce qui explique ces évolutions ?

– Jusque dans les années 1970, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est illégale et la contraception orale est interdite jusqu’en 1967. Par conséquent, avant cette date, il y a beaucoup d’enfants abandonnés, suite à des grossesses non désirées. L’IVG et la pilule contraceptive vont changer la donne : les enfants deviennent désirés et les abandons sont en chute libre ! Il faut bien réaliser à quel point c’est une révolution, la plus importante du siècle, sans nul doute. L’abandon d’enfants était un véritable fléau. Les hospices et orphelinats accueillaient les milliers d’enfants que les parents ne pouvaient pas assumer. L’IVG et la pilule ont donc une conséquence directe sur l’adoption : puisqu’il n’y a presque plus d’enfants adoptables en France, les candidats à l’adoption se tournent vers l’étranger. Il y avait, avant les années 1970, quelques cas d’adoption internationale. C’était principalement une adoption humanitaire. Après 1970, l’adoption internationale est la plus fréquente en France. Les bébés étrangers adoptés prennent la nationalité de leurs nouveaux parents.

 

Quelle conséquence a cette adoption internationale ?

– La principale conséquence, c’est que l’adoption devient visible. Alors qu’auparavant il était possible de la cacher, cela ne va plus être possible. Quand vous adoptez un Coréen, cela se voit. Les adoptés rentrent ainsi dans la société française. Même si les familles adoptantes, en France comme dans les autres pays européens, sont la plupart du temps riches, diplômées, libérales, ouvertes d’esprit et donc beaucoup moins xénophobes que la moyenne, les formulaires à l’adoption, aujourd’hui encore, permettent aux futurs parents de dire s’ils ne se sentent pas à l’aise avec telle couleur de peau, telle maladie… tout cela pour le bien de l’enfant qui arrivera dans leur foyer.

 

Est-il vrai que les enfants français actuellement adoptables sont des enfants à besoins spécifiques (ayant une maladie génétique grave par exemple ou souffrant d’un handicap) ?

– C’était vrai dans les années 2000. Les candidats à l’adoption préféraient se tourner vers l’étranger, car il y avait alors moins d’enfants à besoin spécifique. Mais cela n’est plus le cas aujourd’hui. Actuellement, une grosse partie des mineurs adoptés est soit âgée (7-10 ans), soit en fratrie inséparable, soit, c’est vrai, atteinte de maladies graves. Mais parmi ceux-ci, il y a autant d’adoptés internationaux que français. En France, chaque année, 600 mineurs français et 600 mineurs étrangers sont adoptés. L’adoption internationale a baissé drastiquement ; en 2005, il y avait 5 000 adoptions à l’international. Pourquoi cette baisse ? L’explication est simple. Les pays en voie de développement se sont enrichis. Ils connaissent la même révolution que nous dans les années 1970 : le contrôle des naissances, et les bébés à naître sont désirés. Aujourd’hui, avec 800 000 naissances par an, l’adoption de mineurs français ou étrangers n’existe presque plus.

 

L’évolution de la conjugalité a-t-elle eu des conséquences sur la pratique de l’adoption ?

– En France, l’adoption par des couples de même sexe est autorisée depuis 2013. C’est le grand changement. Auparavant, une personne seule homosexuelle pouvait déjà adopter. Le débat politique sur l’adoption a été dense et enflammé. La seule question qui, pour moi, est importante est celle-ci : est-ce que c’est bon ou non pour les enfants ? À l’heure actuelle, les études empiriques montrent que c’est indifférent. Cela n’affecte ni les performances cognitives des enfants, ni leur équilibre psychique ou quoi que ce soit d’autre… Cela n’influence pas non plus le choix de son genre. C’est pour cela que, sur le plan personnel, j’y suis favorable.

 

Est-ce qu’il y a une évolution dans les difficultés rencontrées par les parents-adoptants ?

– Oui, il est beaucoup plus difficile d’adopter aujourd’hui qu’il y a 15 ans ! Mais, il y a 15 ans, il aurait été possible de dire la même chose. La principale difficulté, c’est qu’il y a moins d’enfants adoptables. Il y a 10 000-15 000 candidats à l’adoption chaque année pour les 1 200 adoptions possibles…

 

Est-ce que cette difficulté explique la demande de plus en plus pressante de pouvoir recourir à la GPA ?

– Tout à fait. Personnellement, j’y suis favorable, là aussi pour des raisons empiriques. En Inde, cas que je connais bien, les femmes le font certes pour l’argent, mais cela leur permet d’élever leurs enfants. Elles sont très satisfaites de pouvoir être mères-porteuses.

En savoir plus

flèche Pour aller plus loin : Jean-François Mignot, L’adoption (Collection Repères. Sociologie 698), Paris, La Découverte, 2017, 128 p., 10 €.

propos recueillis par Corinne Gendreau et Christophe Jacon
journal Ensemble

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